Pierre Delmelle, volcanologue : la passion pour ces éruptions qui bouleversèrent notre planète !23/02/2016
Pierre Delmelle sera au Collège Belgique, au Palais provincial de Namur, le 23 mars prochain, pour une conférence intitulée : Ces éruptions volcaniques qui bouleversèrent notre planète.

Ingénieur agronome, passionné par les volcans et l’impact de leurs émissions sur l’environnement, Pierre Delmelle est professeur à l’Université catholique de Louvain et membre de l’Earth and Life Institute (ELI). Son enseignement et ses recherches portent sur la science du système Terre.

L’entretien que nous livrons aux lecteurs narre le parcours d’un scientifique dont la polyvalence intellectuelle et l’interdisciplinarité pratiquée ont mené à devenir le spécialiste des études géochimiques des émanations des volcans et de leurs conséquences environnementales. Simplement et avec modestie, Pierre Delmelle nous invite à un voyage au centre des colères et des caprices de notre planète lorsqu’elle s’épanche en cendres et en gaz.

Comment est née votre passion pour la Terre et notamment les volcans ?

C’est un mélange de circonstances, et effectivement une affection pour la Terre ! À l’origine, après mes études secondaires, je souhaitais me diriger vers des études de philosophie. Ma mère, très pragmatique, a alors invité son ami prêtre pour que je puisse en discuter. Cet entretien a probablement scellé mon futur car il fut clair que mes ambitions de philosophe allaient devoir patienter ! Issu d’un petit village condruzien, les escapades dans la nature faisaient partie de mon quotidien et les documentaires télévisés de Jacques Cousteau et Haroun Tazieff éveillaient chez moi des rêves de découvertes. J’ai pris la décision d’entreprendre des études de biologie à l’Université de Liège. Si l’océanographie m’apparaissait accessible, la volcanologie me semblait relever du fantasme. Mais après deux années d’étude, je n’étais pas satisfait et il me semblait que ma motivation s’effritait. J’ai alors décidé de faire un break et j’ai voyagé sac au dos en Indonésie où j’ai découvert les tropiques et les volcans.

Vous arrivez alors à l’Université catholique de Louvain !

Oui, avec l’idée d’entreprendre des études d’agronomie tropicale qui me permettraient de travailler à l’étranger, plus particulièrement là où il y a des volcans. Mais, pour des raisons qui me restent toujours mystérieuses, j’ai rapidement bifurqué vers la branche « dure » des études d’ingénieur agronome en choisissant l’orientation dénommée à l’époque « ingénieur chimiste et des industries agricoles », avec pour spécialisation la chimie physique théorique. Fort de cette formation, j’ai réalisé que j’avais les bases nécessaires pour étudier la chimie des gaz volcaniques, une discipline qu’Haroun Tazieff (lui aussi ingénieur agronome !) a largement contribué à promouvoir et vulgariser. J’ai alors remué ciel et terre pour trouver un mémoire de fin d’études dans ce domaine. C’est finalement le professeur Alain Bernard de l’Université libre de Bruxelles qui m’a ouvert les portes de son laboratoire avec à la clé un travail de terrain sur un des volcans les plus spectaculaires de l’île de Java, le Kawah Ijen. J’ai ensuite enchaîné avec une thèse de doctorat, toujours sous la supervision d’Alain Bernard. La recherche portait sur la géochimie des lacs acides de cratère présents dans les volcans actifs en Indonésie et aux Philippines.

Que peut nous apprendre l’étude des gaz et des eaux d’un volcan actif ?

Les mesures géophysiques comme la mesure de l’activité sismique ou des déformations de terrain constituent traditionnellement la base des méthodes de surveillance d’un volcan. Les méthodes dites géochimiques sont longtemps restées dans l’ombre. Pourtant, depuis Haroun Tazieff – toujours lui ! – et d’autres, on sait que les gaz volcaniques que l’on peut échantillonner à la surface véhiculent la signature de processus qui se déroulent au cœur du volcan. Dans mon mémoire, et ensuite dans ma thèse, j’ai tâché de mieux déchiffrer les signaux des profondeurs enregistrés par ces gaz, mais également par les eaux volcaniques, cela en vue de décrypter les éventuels changements d’activité volcanique.

Pour votre post-doctorat, vous vous envolez pour le Japon et ensuite le Canada !

Oui, au Japon, pour étudier en laboratoire la composition des gaz émis lors du dégazage d’un magma… une expérience à haute température qui n’a jamais donné satisfaction, malgré des mois d’effort. Ensuite, je suis parti au Canada pour me former à l’utilisation de méthodes de télédétection permettant l’analyse chimique des gaz volcaniques dans l’atmosphère. Je travaillais alors sur le volcan Masaya au Nicaragua. Pour les mesures, nous devions installer notre instrument dans les villages situés autour du volcan et baignés par les émanations acides, et c’est là que j’ai pris conscience des impacts sanitaires et environnementaux engendrés par le dégazage quasi permanent de certains volcans. Ce fut sans doute un tournant dans ma carrière de chercheur. Dès ce moment, ma formation polyvalente d’ingénieur agronome m’a permis de postuler et d’établir des liens entre l’activité volcanique et leurs impacts environnementaux, sur le sol, l’eau, la végétation et l’atmosphère. Ces domaines sont encore peu investigués par les volcanologues qui pour la plupart se concentrent sur les processus au sein même des volcans.

Ces impacts sont-ils toujours négatifs, voire nocifs, pour l’environnement  ?

Négatifs et nocifs pour les gaz, car ils sont acides et souvent toxiques pour la végétation. Les zones balayées par les panaches de gaz volcaniques qui contiennent du soufre, du chlore et parfois du fluor sont complètement dévastées. Mais il y a également les émissions de cendres volcaniques auxquelles je m’intéresse plus particulièrement depuis quelques années. Des quantités phénoménales de cendres ont été déposées à la surface des continents et dans les océans par les éruptions volcaniques. Les perturbations à court terme et long terme engendrées par ces émissions demeurent mal comprises. Ces perturbations ne sont pas nécessairement négatives, par exemple l’origine de la fertilité exceptionnelle des sols volcaniques est la cendre dont ils dérivent.

Pourriez-vous nous introduire à votre conférence au Collège Belgique du 23 mars à Namur intitulée : Ces éruptions volcaniques qui bouleversèrent notre planète ?

La porte d’entrée sera sans doute l’éruption de 2010 de ce volcan islandais au nom imprononçable : l’Eyjafjallajökull. Cette éruption a illustré de manière spectaculaire la vulnérabilité de nos sociétés modernes face au risque volcanique. Le trafic aérien fut paralysé pendant plusieurs jours et très vite les conséquences économiques se sont fait sentir sur toute l’Europe et au-delà. Et pourtant, il s’agissait d’une éruption de faible intensité, bien moins importante que les nombreuses éruptions qui ont chamboulé notre planète dans le passé. Les conséquences socio-économiques auraient été fatales si cela avait été une éruption d’une ampleur similaire à celle de ces grandes éruptions.

J’utiliserai quelques exemples afin de montrer les impacts catastrophiques produits par des éruptions violentes, on parlera des grandes extinctions de masse ou encore de l’anéantissement de certaines civilisations. Je tâcherai de mettre cela en contexte… la démographie galopante n’épargne pas les flancs des volcans et on estime aujourd’hui qu’environ 800 millions de personnes vivent dans un rayon de 100 km autour des volcans. De nos jours, la probabilité est bien entendu très faible qu’une éruption cataclysmale survienne mais elle n’est pas nulle.

Certains volcans endormis peuvent-ils se réveiller ?

Oui, bien sûr. Il existe environ quatre cents volcans actifs ou potentiellement actifs à la surface du globe, mais il est impossible de prédire lequel se réveillera ! Certains sont en dormance depuis des siècles, des milliers d’années. En 1991, le volcan Pinatubo aux Philippines produisit la troisième plus grande éruption du XXe siècle. Avant cette activité, cette petite « montagne » n’était pas répertoriée dans le catalogue des volcans. On ne savait simplement pas que ces collines volcaniques accumulaient du magma frais ! Les volcanologues sont bien conscients que des éruptions peuvent avoir lieu dans des régions volcaniques qui ne sont pas surveillées. En cela, les progrès constants des mesures effectuées à partir de satellites nous sont d’une grande aide.

Cela est-il en lien avec la vie de la Terre et son âge actuel ?

Nous sommes dans une période d’activité volcanique qui est moins intense que ce que nous avons pu connaître dans le passé. Notre planète se refroidit ! Sous les volcans, du magma peut être stocké sur des périodes de temps extrêmement longues. On ne peut pas facilement détecter ces poches de magma en profondeur. La question étant de savoir quand et pourquoi ce magma se met en route vers la surface.

Avons-nous des instruments de mesure capables de déterminer cette montée du magma, comme nous mesurons l’activité sismique ?

L’activité sismique d’un volcan est un signal d’alarme, mais il n’est pas toujours simple d’interpréter l’origine de la secousse sismique. Il peut s’agir effectivement de la remontée du magma, mais d’autres phénomènes peuvent aussi être responsables, par exemple la pressurisation des fluides (gaz et eau) piégés au sein de l’édifice volcanique.

Quelle est l’importance des conséquences des éruptions qui ont jalonné l’histoire de la Terre et qui l’ont bouleversée autant ?

Les grandes éruptions volcaniques peuvent bouleverser le paysage à l’échelle régionale. Les dépôts laissés par les nuées ardentes ou coulées pyroclastiques peuvent atteindre plusieurs centaines de mètres d’épaisseur. Les vallées sont comblées et les forêts dévastées. On estime que l’éruption du Yellowstone, il y a environ 640 mille ans, a déposé en moyenne une dizaine de centimètres de cendres sur l’entièreté du territoire des États-Unis. On a aussi les énormes éruptions effusives, connues sous le nom de trapps, qui ont perduré plusieurs centaines de milliers d’années, formant les provinces ignées où on peut voir des accumulations de lave phénoménales, quelques fois excédant deux kilomètres d’épaisseur. Ces éruptions ont été accompagnées par la libération de quantités massives de gaz volcaniques dans l’atmosphère. On s’interroge toujours sur l’impact de ces émissions sur la composition de l’atmosphère et sur le climat. Des études récentes suggèrent que les gaz volcaniques ont pu détruire la couche d’ozone et augmenté l’intensité des rayonnements ultra-violets à la surface de la Terre. Certains suggèrent un lien avec les grandes extinctions de masse. Mais d’autres théories existent … je les évoquerai durant ma conférence.

Quels sont vos champs de recherche les plus importants ?

Je m’intéresse à l’impact des cendres volcaniques sur le cycle du carbone, notamment au travers des processus d’altération chimique qui consomment du dioxyde de carbone, mais aussi plus tard dans l’évolution du dépôt de cendres lors de sa transformation en un sol volcanique capable de stocker du carbone organique. En apportant du fer à la surface des océans, les retombées de cendres volcaniques sont aussi susceptibles de favoriser la croissance du phytoplancton. Celui-ci opère la photosynthèse et donc consomme du dioxyde de carbone. Le rôle de l’activité volcanique dans le fonctionnement des écosystèmes marins et terrestres est encore mal compris, et je suspecte que de nouvelles découvertes verront le jour.

Quels sont vos projets ?

Je suis de plus en plus intrigué par l’influence des éruptions volcaniques sur les cycles géochimiques des éléments comme le carbone, le fer et le phosphore, à différentes échelles temporelle et spatiale. C’est la dimension multi et interdisciplinaire de ces questions qui est stimulante et passionnante. Des liens sont à faire et de nombreuses inconnues subsistent.

Propos recueillis par Robert Alexander
Quelques orientations :
On peut utilement se référer à la page personnelle de Pierre Delmelle, http://www.uclouvain.be/pierre.delmelle, où vous trouverez, notamment, la liste détaillée de ses contributions scientifiques et de ses cours.

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