Les Actualités / Jean-François Collet. Un directeur de recherche séduit par Escherichia Coli

Jean-François Collet. Un directeur de recherche séduit par Escherichia Coli

L’Institut de Duve a été fondé par Christian de Duve, docteur en médecine et biochimiste qui reçut le prix Nobel de physiologie et médecine en 1974. Réputé internationalement pour ses recherches de pointe en biologie médicale, il accueille aujourd’hui 250 chercheurs, chercheuses, techniciens et techniciennes. Dans le hall, une impressionnante bibliothèque et des vitrines consacrées à la vie du prix Nobel accueillent le visiteur. Le message est clair : savoir, tradition, excellence. Au fil des cinq étages qui nous mènent au laboratoire du professeur Jean-François Collet, et en traversant la ruche des salles de recherche, l’impression d’excellence et d’exigence scientifiques s’incarne, à la lecture des messages épinglés aux valves, des personnes que je croise dans l’ascenseur et de leurs conversations volées, dans la jeunesse, le cosmopolitisme et même, déjà, la fierté et l’enthousiasme. Jean-François Collet, 45 ans, regard malicieux derrière de sévères lunettes (mais pas de tablier blanc), confirme cette impression à laquelle s’ajoutent très rapidement charisme, bienveillance, passion et modestie.

Lauréat de plusieurs prix, dont le Prix Henri Fauconnier de l’Académie royale de Médecine en 2014, Jean-François Collet est directeur de recherche FNRS à l’Institut de Duve, professeur à l’Université catholique de Louvain et Membre de l’Académie royale, Classe des Sciences, depuis 2017.


Comment vous est venue l’idée de faire de la recherche ?

C’est en quatrième secondaire, alors que j’étais à Saint-Boniface à Ixelles, que j’ai songé à faire de la recherche. Probablement pour deux raisons : notre professeur de biologie et de chimie était quelqu’un de particulier, d’original, qui nous faisait penser out of the box, ce qui a stimulé ma curiosité. Il nous a parlé de la recherche en général et de Christian de Duve. J’avais lu son livre « Une visite guidée de la cellule vivante » et je m’étais dit que j’aimerais travailler dans son institut. L’autre influence, c’est celle de mon grand-père pharmacien. C’était le scientifique de référence de la famille – mes parents sont tous les deux philologues classiques. Et puis la curiosité ! Le fait de chercher, de découvrir… mais comment faire pour y arriver ? J’hésitais entre médecine, biologie…

En rhéto, mon professeur de sciences m’avait mis en contact avec quelqu’un des Facultés de Namur ; je me rappelle avoir été dans un étang en Forêt de Soignes prélever un échantillon d’eau et être revenu chez lui avec ma petite bouteille pour analyser les micro-organismes. En secondaire, c’est un peu magique ! C’est cette personne qui m’a suggéré l’agronomie. Ce sont de très belles études… pendant lesquelles j’ai plus ou moins oublié l’Institut de Duve et mon désir d’y faire de la recherche. Et puis… ça a tenu à presque rien. J’avais déjà choisi mon sujet de mémoire à Louvain-la-Neuve et le labo où le faire quand deux amis me disent qu’ils vont voir les sujets de mémoire à l’ICP (comme on disait à l’époque). À la fin de la visite, au cinquième étage, celui où nous sommes, nous avons rencontré le Professeur van Schaftingen. Il nous a expliqué son travail et tout de suite je me suis dit : « Mais c’est ça que je veux faire ! » C’est comme si les écailles me tombaient des yeux !

Après mon mémoire, j’ai fait une thèse de doctorat et j’ai pris goût à la recherche. Pour un jour peut-être avoir mon propre labo, il fallait d’abord partir et quitte à partir, nous sommes-nous dit mon épouse et moi, autant partir loin : aux États-Unis, au Michigan.

Votre thèse de doctorat, chez Émile Van Schaftingen, portait déjà sur les bactéries ?

Non. Rien à voir ! C’était sur les enzymes humaines, et même si j’ai fait pousser quelques bactéries, c’était une thèse en biochimie. Mais certaines décisions importantes tiennent à peu de choses. À la fin de ma thèse, j’ai croisé un scientifique allemand émérite venu donner une semaine de cours sur le repliement des protéines. Un homme fascinant qui connaissait personnellement la plupart des scientifiques de renom actifs dans ce domaine. Sans complexe, je suis allé le trouver pour qu’il me suggère des noms pour mon post doc. Il m’a donné une liste d’une dizaine de noms et il avait fait suivre l’un d’entre eux de trois étoiles, tout en me précisant que c’était un spécialiste de la génétique des bactéries. « Ce n’est pas pour moi », me suis-je dit. J’ai contacté tous les autres de la liste sauf celui-là, mais même avec un financement du FNRS, les quelques « oui » que j’ai reçus n’étaient pas francs et massifs. En allant sur internet, j’ai constaté que le labo du professeur aux trois étoiles, Jim Bardwell, offrait un bien meilleur ratio taille du labo/publications que les autres. Je lui ai envoyé un mail, je suis allé dîner et en rentrant, on m’a dit qu’il avait téléphoné. En une heure, c’était fait. Son enthousiasme m’a convaincu… Je ne savais même pas où était le Michigan ! Ces trois ans ont changé ma vie. J’ai été séduit par Escherichia coli et par les bactéries. Je me suis éclaté dans ce laboratoire !

Et vous êtes devenu le spécialiste des bactéries que l’on connaît et dont on parle dans les plus prestigieuses institutions académiques et scientifiques comme dans la presse grand public. Vous avez publié dans Science, Cell, Nature… Le vif de votre actualité et de notre entretien, c’est votre travail sur la résistance bactérienne aux antibiotiques. Cette résistance, dit-on, pourrait devenir la principale cause de mortalité d’ici 2050, si on ne fait rien.

Faire des prédictions n’est pas mon job. Ce qui me fascine c’est que nous sommes tous nés dans un monde où les antibiotiques existaient et que l’on considère cela comme acquis. Or, Homo sapiens a toujours été soumis aux bactéries. Quand on pense aux ravages de la peste, on se dit qu’une épidémie comme celles du XVIIIe siècle causerait à l’échelle de Bruxelles 600.000 morts en très peu de temps. Ce n’est pas tout : aujourd’hui, de nombreux actes médicaux reposent sur le fait qu’on est capable de lutter contre les infections. L’arrivée de bactéries résistantes aux antibiotiques nous rendrait vulnérables aux épidémies, mais fragiliserait aussi l’ensemble de la médecine.

Sur Internet, on vous voit expliquer (en une minute !) un mécanisme de défense des bactéries à l’aide d’une petite structure en Lego. Votre recours à l’image du château-fort est d’une pédagogie redoutable. C’est Godzilla chez Vauban !

Il faut distinguer défense et résistance. Quand on parle de résistance, il s’agit de bactéries exposées à un antibiotique donné qui sont parvenues à mettre au point un moyen de lutter contre cet antibiotique-là. Il y a une panoplie de mécanismes de résistance : les bactéries produisent une enzyme capable de détruire l’antibiotique, par exemple. Ce mécanisme acquis se transmet rapidement entre les bactéries. Autre mécanisme : assembler des pompes qui vont permettre aux bactéries d’éjecter l’antibiotique. D’un point de vue moléculaire, ces constructions protéiques sont fantastiques ! Un autre mécanisme c’est simplement, si je puis dire, de supprimer les portes (les porines) par lesquelles les antibiotiques entrent. Un quatrième mécanisme, c’est la sélection de mutations. En effet, les bactéries grandissent jusqu’à se diviser en deux, donnant deux cellules filles. Lors de chaque duplication, des erreurs chromosomiques peuvent se produire et, dans la population bactérienne, peuvent apparaître des mutations qui rendront la bactérie résistante à un antibiotique donné. Bref, plus les bactéries sont soumises aux antibiotiques, plus nous leur donnons l’occasion d’affuter leurs armes, de trouver la parade.

Malgré leur incroyable diversité, on peut ranger les bactéries en deux sortes : à gram+ et à gram-. Les bactéries sur lesquelles nous travaillons, comme E. coli, sont des bactéries à gram- qui se distinguent par une double membrane cellulaire et un système de défense extrêmement sophistiqué. Pour les combattre, il faut trouver un antibiotique dont les propriétés soient à la fois hydrophiles pour traverser la première membrane et hydrophobes pour traverser la seconde. Et capables de déjouer les sentinelles du système de défense de la bactérie. Le point commun des recherches de notre laboratoire, c’est de comprendre les mécanismes impliqués dans la construction et la défense de cette enveloppe. E. coli a été décrite pour la première fois en 1885 à Munich et, depuis, c’est probablement la bactérie la plus étudiée au monde. Mais il y a dix ans, on ne connaissait pas encore grand chose sur l’assemblage de cette enveloppe. C’est fascinant ! Il reste encore beaucoup de questions sans réponses. Repousser les frontières de la connaissance, trouver de nouveaux concepts mécanistiques qui pourraient être appliqués aux cellules humaines ou à d’autres, développer de nouveaux antibiotiques : nous travaillons sur tous ces tableaux.

Ces perspectives que vous ouvrez en matière de développement de nouveaux antibiotiques, est-ce au bénéfice des firmes pharmaceutiques ?

Nous prenons au sérieux la valorisation de nos recherches. Je voudrais souligner le rôle de Welbio qui a eu un énorme impact sur notre laboratoire. Créé en 2010/2012 à l’initiative de quelques professeurs qui ont convaincu le ministre Marcourt d’investir dans ce nouvel institut, il s’inspire du VIB (l’Institut flamand pour la biotechnologie). Ce financement a changé les choses pour deux raisons : avec cet argent, j’ai pu recruter, entre autres, un chercheur sud-coréen passé par Harvard et à le stabiliser chez nous. Deuxième impact : le Welbio soutient une recherche fondamentale d’excellence, mais nous encourage aussi fortement à valoriser nos découvertes. Un comité de valorisation se réunit régulièrement, auquel nous présentons nos résultats et ensemble, avec Welbio et notre interface universitaire, on voit comment les valoriser. Il y a deux ans, nous avons recruté un microbiologiste issu du privé, exclusivement chargé de valoriser notre recherche. Grâce à lui, nous avons développé des contacts avec des sociétés biotechs de toutes tailles : européennes, wallonnes, californiennes… Par exemple, nous développons des souches qui pourront être utiles dans la recherche de nouveaux antibiotiques. C’est un long chemin, qui va prendre dix ou douze ans, mais c’est très prometteur !

Fleming lui-même a dû attendre une douzaine d’années et surtout les nécessités de la guerre avant de voir sa pénicilline produite industriellement et utilisable à grande échelle. Est-ce nouveau dans le paysage scientifique ce continuum entre les universités et l’industrie ?

J’en ai l’impression. La communication entre ces deux mondes augmente et des initiatives comme Welbio la facilite.

Revenons aux Legos pour conclure. Je suis frappé par votre parti pris pédagogique, qui à mes yeux relève d’un véritable parti pris politique – au sens large – et civique.

C’est mon devoir !

Parce qu’on parle d’enjeux de santé publique ? Parce que l’OMS a tiré la sonnette d’alarme en 2017 en publiant une liste d’agents pathogènes prioritaires résistants aux antibiotiques ? Et qu’il est urgent de prendre à bras le corps ces enjeux face au désinvestissement des firmes pharmaceutiques ? Parce qu’il reste important de rappeler quelques précautions élémentaires de gestion des antibiotiques (à ne pas prendre en cas de virus, respecter la prescription…) à l’heure de la mondialisation et du retour de la tuberculose ?

Oui. Et à toutes ces motivations pédagogiques, j’en ajouterais une : la beauté. Ces mécanismes sont beaux. Peut-être que cette beauté saute moins aux yeux que celle du cosmos, mais cette beauté des mécanismes est extrême. C’est magnifique. Partager cette beauté qu’on côtoie tous les jours me semble aussi important.

Propos recueillis par François Kemp

Pour tout renseignement complémentaire :
https://www.deduveinstitute.be/fr/bacteria

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